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Namur, fille de Flandre ? Histoire d’un lion barré

Dernière mise à jour : 27 sept.

Contribution croisée de Magali Dugardin, Présidente du Corps consulaire de la province de Namur, et Baptiste Genette, historien spécialiste de l’héraldique


Drapeau de Namur sur la façade de la Bourse (place d’Armes)
Drapeau de Namur sur la façade de la Bourse (place d’Armes)

Sur les frontons officiels de la Province, jusque sur les vestons protocolaires du Corps consulaire, un lion noir sur fond jaune barré d’un trait rouge se donne fièrement à voir. En langage héraldique, cela donne : « d’or au lion de sable, armé et lampassé de gueules et couronné d’or, à la bande de gueules brochant ».


Une phrase qui dit tout : les couleurs (or, sable, gueules), la posture du lion, et surtout la bande rouge — signature d’une filiation différenciée.


Pour beaucoup, difficile de ne pas y reconnaître le lion flamand… mais rayé. Un geste d’antagonisme ? Une vieille querelle gravée dans le tissu ? Cette interprétation rapide néglige un langage médiéval codé, complexe, dont l’histoire dit tout le contraire.


Lion barré : un langage de signes, pas de slogans


L’héraldique médiévale repose sur un système normé. À une époque où les armoiries sont juridiques, militaires et dynastiques, chaque détail est porteur de sens. Les couleurs sont codifiées (appelées « émaux »), les contrastes obligatoires, les modifications encadrées.

Et parmi ces règles, celle de la brisure est capitale : lorsqu’un fils cadet ou un nouveau lignage hérite d’un blason, il doit le modifier légèrement. Ainsi naît une nouvelle identité, tout en conservant l’empreinte familiale. Autrement dit, la brisure n’est pas un acte de rupture, mais de différenciation dans la continuité.

Elle dit : « je viens de là, mais je suis autre ».


Une affaire de comtes… et de transmission


C’est exactement ce qui s’est passé à Namur. À la fin du XIIe siècle, Philippe le Noble hérite du comté de Namur (1196–1212). Fils du comte de Flandre et de Hainaut, Baudouin V, il brise les armes flamandes pour marquer son territoire mosan : il garde le lion noir sur fond d’or, mais y appose une bande rouge diagonale — une brisure.

Frise des armoiries de Namur : Philippe le Noble (brisure rouge) → Guy de Dampierre (lion de Flandre) → Jean Ier (lion barré couronné).
Transmission des armoiries de Namur (XIIe–XIVe s.) : Philippe le Noble introduit la brisure rouge ; Guy de Dampierre, comte de Flandre, porte le lion de Flandre ; Jean Ier de Namur confirme les armes et le lion devient couronné.

Plus tard, entre 1263 et 1305, le comté revient dans les mains flamandes : Guy de Dampierre, à la tête de la Flandre, l’administre et transmet Namur à son fils cadet, Jean Ier. Celui-ci conserve les armes brisées de Philippe (à la nuance près que le lion est dorénavant couronné), qui deviennent alors les armoiries définitives de Namur. Ses descendants omettront parfois la bande de gueules, la couronne pouvant à elle seule être prise comme une brisure. De plus, la bande est généralement très fine (on parle alors de « cotice »).


Manuscrit médiéval : heaumes et écus armoriés au lion noir sur or, barrés d’une bande rouge (armes de Namur).
Armorial de Gelre (fin du XIVe siècle), folio 49v : ce document issu d’un célèbre armorial européen illustre parfaitement le mécanisme des brisures. On y voit les armoiries de différents membres de la maison de Flandre, avec quelques variations tant au niveau des écus que des ornements extérieurs (cimier). De gauche à droite : Guillaume Ier de Namur avec ses frères Robert et Louis de Namur, tous fils de Jean Ier. On constate que la bande sur les armes de Robert est engrêlée, ce qui constitue une brisure des armes de Namur. À droite, Henri de Flandre, seigneur de Ninove, leur cousin germain, qui porte des armes très similaires à la différence que la bande n’est pas de gueules mais componée de gueules et d’argent.

Jean Ier, né à Bruges en 1276, mort à Paris, est un personnage éminemment européen. Fréquentant les grandes cours de Flandre et de France, il incarne la souplesse des appartenances médiévales, bien avant que les identités régionales ne se figent dans des frontières politiques. Il combat à la bataille des Éperons d’Or le 11 juillet 1302 à Courtrai, en tant que fils du comte de Flandre — un épisode qui deviendra, bien plus tard, l’événement fondateur de la Fête de la Communauté flamande. Ce jour-là, la conduite des milices flamandes repose sur un trio où Gui de Namur et Jean Ier de Namur — tous deux namurois et de langue d’oïl (francophones) — entourent Guillaume de Juliers. Cette composition dit déjà le lien : au cœur d’une victoire dite « flamande », deux commandants viennent de Namur.


Deux sceaux médiévaux : grand sceau rond et contre-sceau ; au centre, un écu au lion de Namur barré d’une bande diagonale.
Armes de Jean Ier (1309) et de son petit-fils Jean III (1425) sur leurs sceaux respectifs. On constate, outre les évolutions stylistiques, que la bande est omise sur les armes de Jean III.

Pourquoi dit‑on que « les Namurois sont lents » ?


11 juillet 1302, Courtrai. Jean Ier de Namur rejoint le champ de bataille en retard, renforts à ses côtés. La victoire est au rendez‑vous. À partir de là, la petite phrase s’ancre : « les Namurois sont lents ». Une légende locale qui se raconte encore aujourd’hui — parce que certaines histoires, quand elles sont bien dites, deviennent la réalité qu’on retient.

Armes de Jean Ier (1309) et de son petit-fils Jean III (1425) sur leurs sceaux respectifs. On constate, outre les évolutions stylistiques, que la bande est omise sur les armes de Jean III.


Une lecture contemporaine


Et c’est précisément cette double appartenance — entre héritage flamand et ancrage mosan — que symbolise le lion barré de Namur. Il n’est pas refus. Il n’efface pas la Flandre — il raconte une filiation, tout en affirmant une autonomie. C’est un symbole de différenciation, pas de rupture.


Car dès le XIIIe siècle, Namur s’impose comme un carrefour stratégique : à la confluence de la Sambre et de la Meuse, au croisement des routes entre Flandre, Champagne, Saint‑Empire et bassin parisien. C’est une place forte, mais aussi un lieu de négociation et de diplomatie. On y parle plusieurs langues, on y croise plusieurs couronnes, on y scelle des alliances. Déjà, Namur exerce un rayonnement bien au‑delà de ses remparts : elle devient un centre d’influence au cœur de l’espace politique, culturel et diplomatique d’une région en devenir.


En 2025, Namur ne regarde pas vers le passé avec nostalgie, mais avec conscience. Aujourd’hui, cette vocation s’est pleinement affirmée. Namur est la capitale politique de la Wallonie — un lieu de décision, de culture et de dialogue. C’est une ville ouverte, candidate au titre de Capitale européenne de la culture 2030, forte de son patrimoine et de son hospitalité symbolique.


Visuel « Namur 2030 – Candidature Capitale européenne de la culture », fond rose avec formes colorées.
Namur 2030 — Candidature à Capitale européenne de la culture

Un blason comme passerelle


Le lion barré de Namur n’est pas un vestige : c’est un emblème actif, non pas une barrière mais un pont — une invitation à lire notre histoire commune comme un tissu de filiations partagées.


Ces trajectoires rappellent une chose essentielle : que les identités régionales belges ne se sont pas forgées dans l’opposition, mais à travers des liens tissés au fil du temps. C’est là toute la force du blason namurois : il incarne une histoire de croisements, de filiations partagées. Il reflète l’idée d’une Belgique construite non pas sur des clivages, mais sur des héritages communs.


Le lion barré de Namur continue de flotter non comme un vestige mais comme un emblème actif, non comme une barrière, mais comme un pont. Une invitation, plus qu’un rappel. Un signe d’ouverture et d’interconnexion.


Animé (2’27) — Namur, fille de Flandre ? L’histoire du lion barré : de la brisure héraldique aux Éperons d’Or, et l’origine du dicton « les Namurois sont lents ».

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